Ce qui ressort d’abord de notre brève conversation avec le Dr Jules Brodeur, c’est son immense humilité et son humanisme. À l’origine du Département de médecine du travail et d’hygiène du milieu, aujourd’hui nommé le Département de santé environnementale et santé au travail (DSEST) de l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM), il mentionne du même souffle la grande contribution de ses collègues de l’époque.
Figure influente de la santé environnementale, le Dr Brodeur a été professeur, chercheur et directeur de programme et de département, en plus d’avoir reçu plusieurs distinctions tout au long de son impressionnante carrière scientifique. Maintenant retraité depuis une bonne vingtaine d’années, il revient sur les débuts de la santé environnementale à l’Université de Montréal (UdeM) et sur ce qu’il souhaite avoir légué aux prochaines générations.
Un démarrage pas si facile
Diplômé en médecine de l’UdeM, le Dr Brodeur s’intéresse très tôt à la recherche fondamentale en toxicologie, obtient un doctorat en pharmacologie de l’Université de Chicago et entame sa carrière au Département de pharmacologie de l’UdeM, en 1964. Il gravit rapidement les échelons et devient directeur du Département d’hygiène des milieux de la Faculté de médecine, en 1976. Déjà à l’époque, on sentait qu’il fallait faire un lien entre l’hygiène des milieux et la santé au travail.
« On a ajouté “médecine du travail” au nom du département, mais ce n’était pas tout à fait approprié, précise-t-il. Nous n’avions en aucun cas le mandat de former des médecins du travail, mais plutôt d’enrichir leur formation. Celui-ci était toutefois difficile à remplir parce que nous n’avions aucune ressource clinique et que le sujet était très vaste. Par contre, le mandat de recherche était déjà bien entamé et portait essentiellement sur la santé et non sur la sécurité au travail. »
Malgré les défis du démarrage, le département réussit à mettre sur pied un stage obligatoire de 2 semaines en clinique pour les étudiantes et étudiants de 4e année de médecine afin de les exposer aux enjeux de santé et de sécurité au travail.
« Notre motivation provenait d’une situation que j’ai moi-même vécue pendant mes études, se souvient-il. Lors de la rédaction de l’histoire de cas d’un nouveau patient, on cherchait beaucoup à identifier, par exemple, ses antécédents génétiques et socioéconomiques, mais on ne s’intéressait pas au type de travail qu’il pratiquait. »
Dans cette tâche de bonifier la formation des étudiantes et étudiants en médecine, le Dr Brodeur reconnaît d’emblée l’apport de ses collègues Yves Lacasse et Huguette Demers dans la structuration du stage, sans oublier l’aide des médecins qui évoluaient dans le domaine de la santé au travail et celle, tout aussi indispensable, des hygiénistes industrielles et industriels. Au fil du temps, le stage se transforme et devient optionnel, s’adressant essentiellement aux étudiantes et étudiants ayant un intérêt marqué pour ce que nous appelons aujourd’hui la santé publique.
« C’était une évolution tout à fait naturelle, explique-t-il. L’évidence nous a montré que les ressources pour l’enseignement se trouvaient plutôt au Département de santé communautaire, lequel avait déjà reçu le mandat clinique de la santé au travail. Par ailleurs, ce programme existe encore actuellement, alors je suis très heureux de la manière dont tout cela a progressé. »
Si aujourd’hui les médecins dans leur formation générale et dans l’exercice de leur profession posent la question « Quel est votre travail? », on peut en remercier le Dr Brodeur, du moins, en partie.
Un héritage pour la relève
En reconnaissance de sa carrière scientifique, de ses valeurs humanistes et de son apport au rayonnement de la santé environnementale et au travail, le DSEST a créé en 1996 le prix et la bourse Jules-Brodeur.
Le Dr Brodeur a également contribué, avec ses collègues et l’appui de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail et de l’UdeM, à la création de la chambre d’inhalation pour les humains, une installation unique au Canada, en plus d’avoir dirigé le diplôme d’études supérieures spécialisées en toxicologie jusqu’à sa retraite. Ainsi, il a non seulement marqué l’histoire de l’ESPUM, mais participe aussi à son futur.
« Dans la vie, il y a des personnes remarquables qui nous influencent et inspirent, souligne-t-il. J’ai eu la chance d’être inspiré très tôt dans mon parcours universitaire par un professeur en pharmacologie. Il était ouvert, généreux et aspirait à créer un sentiment d’appartenance dans le département qu’il dirigeait. Ç’a donc été tout naturel pour moi de faire la même chose au sein du mien. Le prix qui porte mon nom reflète bien mes pensées à ce point de vue et ma façon de vivre avec une équipe complexe et multidisciplinaire. »
En conclusion, le Dr Brodeur prend soin de rappeler quelques-unes des valeurs qui l’ont guidé tout au long de sa carrière et qu’il désire transmettre aux étudiantes et étudiants : le sentiment d’appartenance à l’établissement, la qualité des relations interpersonnelles et la constance dans l’accomplissement des tâches reliées à la profession.
« Donner au suivant, c’est ce qu’il y a de plus important pour moi, mentionne-t-il avec émotion. Lorsqu’on regarde la liste des personnes lauréates du prix Jules-Brodeur, que l’on constate ce qu’elles sont devenues et que plusieurs sont membres du corps professoral, ça me rend très fier. »