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/ École de santé publique

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Andréanne Dufour, infirmière et étudiante

Témoignage de Andréanne Dufour - infirmière et étudiante à la maîtrise en santé publique

Communauté étudiante et professeur de l’ESPUM,

Je vous écris de mon salon, confinée pour quelques heures avant la sortie quotidienne pour aller travailler. Je tente de rattraper les travaux qui me courent après durant cette crise du COVID-19, qui, elle aussi, me (nous) court après.

Jusqu’à il y a deux semaines, je me serais décrite comme une étudiante en santé publique à la maîtrise en option recherche, ayant pour champ d’intérêt principal l’accès à la santé pour les personnes migrantes sans assurance maladie. Jusqu’à il y a deux semaines, je travaillais comme infirmière à temps partiel en Groupe de Médecine familiale auprès de la population du quartier St-Michel, concentrant mes activités sur la promotion et prévention de la santé. Jusqu’à il y a deux semaines, je faisais du bénévolat avec Médecins du Monde dans la clinique pour Migrants à statut précaire. Je faisais du karaté et du yoga et buvais parfois une bière avec des amis.

Depuis deux semaines, Monsieur Arruda permet enfin au monde de comprendre c’est quoi au fond le rôle de la santé publique. Je ne peux plus suivre mes patients que par téléphone et je dois réduire mes activités cliniques au maximum… je me rends une journée par semaine au GMF. On attend la vague… Depuis deux semaines, beaucoup de portes se sont fermées, celles de l’école, du karaté, du yoga, des amis, de Médecins du Monde. Depuis deux semaines, les priorités ont changé. Je travaille 6 jours sur 7 en clinique de dépistage du COVID-19. Dans une autre vie, je travaillais comme infirmière en Afrique Sub-saharienne, avec Médecins sans Frontière. Sous la tente, dans la chaleur, des gens entassés, tous dans l’attente d’un test pour la malaria, un dépistage pour la malnutrition, une vaccination... Bien que ce boulot mène nécessairement à des questionnements éthiques, j’envisageais, après la maîtrise, retourner y travailler. Depuis deux semaines, j’ai l’impression que MSF s’est rendu chez moi. À la Place des Festivals, jour après jour, sous la tente, avec le froid, la pluie, la neige ou le soleil, en voiture ou à pied, les gens attendent, s’entassant tout en en respectant les deux mètres de distance règlementaire. L’histoire se répète à travers le monde. Je pense au Tchad, à la République Centrafricaine, au Covid-19 qui se fraie graduellement un chemin pour s’y rendre. Je pense à ma grand-mère qui ne voulait pas rentrer de Floride, trop froid. Malgré tout ce bordel créé par le Covid, malgré vos enfants avec vous à la maison pendant que vous devez encore étudier, dans les rangs infirmiers et médicaux, l’énergie et la motivation nous gagnent. Je suis heureuse de me rendre chaque jour sous la tente. Comment rester chez moi de toute façon? Chaque jour, je trie ou je dépiste, derrière mon masque, derrière ma visière de plastique, sous ma jaquette jaune, le vent dans la face, je tends un masque à un adulte, un enfant, une famille et je dis : « Bonjour, s’il vous plait restez à distance de la table et mon nom est Andréanne, je suis infirmière. Pourriez-vous me donner votre nom et prénom? Quels sont vos symptômes? Avez-vous voyagé dans les derniers 21 jours? Avez-vous été en contact avec... ? » Tous les jours je dépiste : Bonjour, explications, passe un long coton-tige prêt des amygdales puis loin dans le nez, met le coton-tige dans un tube de prélèvement, désinfecte le tube, passe le tube à un collègue, désinfection des gants, de la chaise et de la table, retrait des gants, lavage des mains, nouveaux gants puis nouveau patient.  J’aime ce que je fais en ce moment, je suis heureuse de le faire. Avec l’école, ça fait beaucoup, mais ma place est là, à faire ces gestes répétitifs, à user de mon jugement infirmier au besoin, ou à juste sourire, rassurer. Ma grand-mère est finalement rentrée au Québec. En finissant le boulot ou à la pause, quelques fois par semaine, je l’appelle pour adoucir son confinement. C’est long avoir plus de 70 ans en ce moment.

Andréanne Dufour

Infirmière et Étudiante à la maîtrise en Santé publique